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Le sûtra de la descente au Lanka, est censé avoir été transmis à la Chine par Bodhidharma, dont on dit qu'il s'en servait comme du seau de sa transmission. Cette version a été traduite de l'anglais au français par moi à partir de la version de Daisetz Teitaro Suzuki ainsi que d'autres éléments non identifiés. Je recevrai avec gratitude et humilité les observations des lecteurs. Je voudrais au passage faire remarquer que le fameux verset attribué à Bodhidharma
Une transmission spéciale en dehors des écritures. Aucune
Sans dépendance vis-à-vis des lettres et des mots.
Révéler directement à chaque homme son esprit originel
Voir sa vraie nature et réaliser sa Nature-de-Bouddha.
On excipe souvent de ce quatrain pour soutenir que le Zen n'a rien à faire des écritures, sûtras ou autres textes et documents élaborés depuis 2500 ans par le Bouddhisme. Cette attitude est très prisée des "zénistes" français, car elle les exonère de l'effort de l'étude des bases doctrinales indispensables à une saine pratique. Lorsqu'on lit le Lanka, on a la surprise de découvrir au détour du chapitre VI un passage qui est manifestement la source de ce fameux quatrain. Malheureusement pour les contempteurs de l'étude du Bouddhisme, la suite n'est guère favorable à une interprétation trop littérale du passage.
Lankavâtara Sûtra
Sûtra de la Descente au Lanka (4°partie)
Alors Mahâmati dit: Je vous en prie, expliquez-nous, ô Béni du Ciel, ce qui constitue l'Intelligence transcendantale?
Le Béni du Ciel répondit: l'Intelligence transcendantale est l'état intérieur d'auto-réalisation de la Noble Sagesse. Elle est réalisée de façon soudaine et intuitive lorsqu'a lieu le «retournement» au plus profond de la conscience; elle n'entre ni ne sort &emdash; elle est comme la lune vue dans l'eau. L'Intelligence transcendantale n'est pas sujette à naissance ni à destruction; elle n'a rien à voir avec la combinaison ni avec la concordance; elle est dépourvue d'attachement et d'accumulation; elle transcende tous les concepts dualistes.
Lorsqu'on considère l'Intelligence transcendantale, il faut garder quatre choses à l'esprit: les mots, les significations, les enseignements et la Noble Sagesse (Arya-prajñâ). Les mots servent à exprimer les significations mais ils dépendent de la discrimination et de la mémoire pour leur cause, et de l'emploi de sons et lettres par lesquels un transfert mutuel de sens est possible. Les mots ne sont que des symboles qui peuvent, et ne peuvent pas, exprimer clairement et pleinement le sens voulu; et, de plus, on peut comprendre les mots de façon très différente de ce qu'entendait dire qui les a prononcés. Les mots ne sont ni différents ni non-différents du sens et ce dernier se trouve dans la même relation par rapport à eux.
Si le sens était différent des mots, il ne pourrait pas être rendu manifeste au moyen de mots; mais le sens est illuminé par les mots de même que les choses le sont par une lampe. Les mots sont juste comme un homme transportant une lampe afin de regarder sa propriété, ce qui lui permet de dire: ceci est ma propriété. De même, au moyen des mots et du discours qui prennent leur origine dans la discrimination, le Bodhisattva peut pénétrer le sens des enseignements des Tathagatas et par le sens il peut entrer dans l'état exalté d'auto-réalisation de la Noble Sagesse, qui est, en lui-même, libre de la discrimination entre les mots. Mais si un homme s'attache au sens littéral des mots et s'accroche solidement à l'illusion que les mots et le sens sont en accord, en particulier pour des choses comme le Nirvâna, qui est non-né et immortel, ou selon les distinctions des Véhicules, des cinq Dharmas, des trois natures propres, il échouera alors à comprendre le vrai sens et s'emmêlera dans les assertions et les réfutations. Tout comme les variétés d'objets qu'on voit et qu'on discrimine dans les rêves et les visions, c'est erronément que l'on discrimine les idées et les postulats et l'erreur va se multipliant.
Les ignorants et les simples d'esprit déclarent que le sens n'est pas différent des mots, que tels que sont les mots, ainsi est le sens. Ils pensent que comme le sens n'a pas de corps propre, il ne peut donc pas être différent des mots et c'est pour cela qu'ils déclarent que le sens est identique aux mots. En ceci ils sont ignorants de la nature des mots, qui sont sujets à la naissance et à la mort, ce qui n'est pas le cas du sens; les mots dépendent des lettres mais pas le sens; le sens est séparé de l'existence et de la non-existence, il n'a pas de substrat, il est non-né. Les Tathagatas n'enseignent pas un Dharma qui dépend des lettres. Quiconque enseigne une doctrine qui dépendrait des lettres et des mots n'est qu'un bavard, parce que la Vérité est au-delà des lettres, des mots et des livres. Ceci ne signifie pas que lettres et livres ne disent jamais ce qui est en conformité avec le sens et la vérité, mais que mots et livres sont dépendants des discriminations, alors que le sens et la vérité ne sont pas; qui plus est, mots et livres sont sujets à l'interprétation des esprits individuels, cependant que le sens et la vérité ne le sont pas. Mais si la Vérité n'est pas exprimée dans les mots et les livres, les écritures qui contiennent le sens de la Vérité disparaîtraient, et sans les écritures il n'y aurait plus de disciples ni de maîtres, ni de Bodhisattvas ni de Bouddhas, et il n'y aurait plus rien à enseigner. Mais il ne faut pas s'attacher aux mots des écritures parce que même les textes canoniques dévient parfois de leur cours direct à cause du fonctionnement imparfaits des esprits sensibles.
Moi-même et d'autres Tathagatas donnons des discours religieux en réponse aux divers besoins et croyances de toutes les sortes d'êtres, afin de les libérer de la dépendance à la fonction pensante du système mental, mais ils ne sont pas donnés pour prendre la place de l'auto-réalisation de la Noble Sagesse. Lorsque il y a admission de ce qu'il n'y a rien au monde qui ne soit une vue de l'esprit lui-même, toutes les discriminations dualistes sont écartés, la vérité de l'absence d'image est comprise, et on constate qu'elle est en conformité avec le sens plutôt qu'avec les mots et les lettres.
Les ignorants et les simples d'esprit étant fascinés par leur imaginations personnelles et leurs raisonnements erronés, ils continuent de danser et de sauter partout, mais sont incapables de comprendre le discours en mots sur la vérité de l'auto-réalisation, et à plus forte raison de comprendre la Vérité elle-même. Agrippés au monde extérieur, ils s'accrochent à l'étude de livres qui ne sont jamais qu'un moyen, et ne savent pas vraiment comment s'assurer de la vérité de l'auto-réalisation, qui est la Vérité non défigurée par les quatre propositions. L'auto-réalisation est un état exalté de réalisation intérieure qui transcende toute pensée dualiste et qui est au-dessus du système mental avec sa logique, son raisonnement, ses théories, et ses illustrations. Les Tathagatas font des discours aux ignorants, mais soutiennent les Bodhisattvas lorsqu'ils voient l'auto-réalisation de la Noble Sagesse.
Laissons donc chaque disciple faire bien attention à ne pas s'attacher aux mots comme étant en parfaite conformité avec le sens, parce que la Vérité n'est pas dans les lettres. Lorsqu'un homme pointe vers quelque chose ou quelqu'un du bout de son doigt, on pourrait confondre le bout du doigt avec la chose vers laquelle on pointe; de la même manière, les ignorants et les simples d'esprit, comme des enfants, sont incapables, même au jour de leur mort, d'abandonner l'idée que le doigt que sont les mots, soit le sens lui-même. Ils ne peuvent réaliser la Réalité ultime à cause de leur attachement résolu à des mots qui ne se voulaient rien d'autre qu'un doigt pointé. Les mots et leur discrimination nous lient à la triste ronde des naissances dans le monde de naissance-et-mort; le sens reste seul et est un guide vers le Nirvâna. On arrive au sens grâce à beaucoup d'étude, et on arrive à beaucoup de connaissances en devenant familiers avec le sens et pas avec les mots; c'est pourquoi les chercheurs de vérité s'approchent des sages avec révérence, et évident ceux qui se braquent sur des mots particuliers.
Pour ce qui est des enseignements: il y a des prêtres et des prédicateurs populaires qui s'adonnent aux rituels et aux cérémonies et qui sont habiles dans les diverses incantations et dans les arts de l'éloquence; il ne faut pas les honorer ni les servir avec révérence, car ce que l'on tire d'eux n'est que de l'excitation émotionnelle et un plaisir mondain; ce n'est pas le Dharma. De tels prédicateurs, par leur habile manipulation de mots et de phrases, et divers raisonnements et incantations &emdash; qui ne sont que du babillage d'enfant, dans la mesure où on peut faire croire ce qui n'est pas du tout en accord avec la vérité ni à l'unisson avec le sens &emdash; ne font qu'exciter le sentiment et l'émotion, tout en stupéfiant l'esprit. Comme il ne comprend pas lui même le sens des choses, il ne fait que confondre l'esprit de ses auditeurs avec ses vues dualistes. Incapable de comprendre par lui-même qu'il n'y a rien que ce qui est vue de l'esprit, et lui-même attaché à la notion de la nature propre des choses extérieures, et incapable à distinguer un chemin d'un autre, il n'a pas de délivrance à offrir aux autres. Donc ces prêtres et prédicateurs populaires qui sont habiles dans diverses incantations et habiles dans les art de l'éloquence, ne s'étant jamais émancipés eux-mêmes de calamités telles que la naissance, la vieillesse, la maladie, le chagrin, la lamentation, la souffrance et le désespoir, conduisent les ignorants à la confusion au moyen de leurs divers mots, phrases, exemples, et conclusions.
Ensuite, il y a les philosophes matérialistes. Il ne faut ni leur montrer du respect ni leur rendre service, parce que leur enseignement, quoiqu'ils puissent l'expliquer au moyen de centaines de milliers de mots et de phrases, ne va pas au-delà des préoccupations de ce monde et de ce corps, et à la toute fin, ils mènent à la souffrance. Comme les matérialistes ne reconnaissent pas la vérité qui existe par elle-même, ils sont séparés en de nombreuses écoles, chacune desquelles s'accroche à sa propre façon de raisonner.
Mais il y a ce qui n'appartient pas au matérialisme et qui n'est pas atteint par la connaissance des philosophes qui s'attachent à de fausses-imaginations et à des raisonnements erronés parce qu'ils n'arrivent pas à voir que, fondamentalement, il n'y a pas de réalité dans les objets extérieurs. Lorsqu'on s'aperçoit qu'il n'y a rien au-delà de ce qui est vue de l'esprit lui-même, la discrimination de l'être et du non-être cesse et c'est ainsi que dans le monde extérieur de l'objet de la perception, rien ne reste que la solitude de la Réalité. Ceci n'appartient pas aux philosophes matérialistes, c'est le domaine des Tathagatas. Si ces choses sont imaginées comme des allées et venues du système mental, une disparition et une apparition, une sollicitation, un attachement, une intense affection, une hypothèse philosophique, une théorie, une demeure, un concept sensoriel, une attraction atomique, un organisme, une croissance, la soif, la saisie, ces choses appartiennent au matérialisme, elles ne sont pas de moi. Ce sont des choses qui font l'objet d'intérêts mondains, qu'il faut sentir, manier et goûter; ce sont les choses qui apparaissent dans les éléments qui constituent les agrégats de la personnalité, là où, à cause de la force procréatrice de la luxure, se produisent toutes sortes de désastres: la naissance, le chagrin, la lamentation, la souffrance, le désespoir, la maladie, la vieillesse, la mort. Toutes ces choses concernent des intérêts et des plaisirs mondains; elles se trouvent sur le chemin des philosophes, qui n'est pas le chemin du Dharma. Lorsqu'on comprend la vraie absence d'existence propre des choses et des personnes , la discrimination cesse de se soutenir lui-même; le système mental inférieur cesse de fonctionner; les divers stages du Bodhisattva se suivent l'un l'autre; Le Bodhisattva peut proférer ses dix voeux inépuisables et recevoir l'onction de tous les bouddhas. Le Bodhisattva devient maître de lui-même et de toutes choses en vertu d'une vie d'effort spontané et d'absence radiante d'effort. Le Dharma, qui est l'Intelligence transcendantale, transcende donc toutes discriminations, tous faux-raisonnements, tous systèmes philosophiques , tout dualisme.
Alors Mahâmati dit au Béni du Ciel: Dans les Ecritures, mention est faite de la Matrice de l'Ainsité (Tathagatagharba) et il y est enseigné que ce qui en est né est par nature clair et pur, originellement immaculé et doté des trente-deux marques d'excellence. Ainsi qu'elle est décrite, il s'agit d'une gemme précieuse mais qui est cependant enveloppée dans un vêtement sale, souillé par l'avidité, la colère, la bêtise et la fausse imagination. On nous enseigne que cette Nature-de-Bouddha immanente en chacun de nous est éternelle, inaltérable, auspicieuse. Mais ce qui est né de la Matrice de l'Ainsité n'est-il pas le même chose que la substance-âme qu'enseignent les philosophes? Le Divin Atman tel qu'il est enseigné par eux est également dit être éternel, inscrutable, inaltérable, impérissable. Y a t-il, ou n'y a t-il pas une différence?
Le Béni du Ciel répondit: Non, Mahâmati, ma Matrice de l'Ainsité n'est pas la même chose que le Divin Atman tel qu'enseigné par les philosophes. Ce que j'enseigne est l'Ainsité dans les sens du Dharmakaya, de l'Unité ultime, du Nirvâna, de la vacuité, la non-né-ité, de la non-qualification, dépourvus d'effort de la volonté. La raison pour laquelle j'enseigne la doctrine de l'Ainsité, c'est que je cherche à amener les ignorants et les simples d'esprit à mettre de côté leurs craintes quand ils écoutent à l'enseignement de l'absence d'existence propre et qu'ils en viennent à comprendre l'état de non-discrimination et l'absence d'image. Les enseignements religieux des Tathagatas sont tout comme un potier qui fait différents récipients de par sa propre habileté manuelle, avec l'aide d'un tour, d'eau et d'un fil, à partir d'une masse d'argile, de même les Tathagatas par leur maîtrise des moyens habiles issus de la Noble Sagesse, par divers termes, expressions, et symboles, prêchent la double absence d'existence propre afin d'éliminer la dernière trace de la discrimination qui empêche leurs disciples d'atteindre à l'auto-réalisation de la Noble Sagesse.
La doctrine de la Matrice de l'Ainsité est divulguée afin d'éveiller les philosophes de leur attachement à la notion d'un Divin Atman en tant que personnalité transcendantale, de sorte que leurs esprits qui se sont attaché à l'imaginaire notion d'une «âme» comme existant en soi, puissent être rapidement éveillés à un état de parfait éclaircissement.
Toutes les notions telles que la causalité, la succession, les atomes, les éléments primaires qui composent la personnalité, l'âme personnelle, l'Esprit suprême, le Dieu souverain, le Créateur &emdash; sont toutes des imaginations et des manifestations de l'esprit.
Non, Mahâmati, la doctrine de la Matrice de l'Ainsité qu'enseigne le Tathagata n'est pas la même que l'Atman des philosophes. Le Bodhisattva est dit avoir bien saisi l'enseignement des Tathagatas quand, tout seul dans un endroit isolé, grâce à son Intelligence transcendantale, il foule le chemin qui mène au Nirvâna. A partir de là, son esprit va se déployer en percevant, en pensant, en méditant, et, en demeurant dans la pratique de la concentration jusqu'à ce qu'il atteigne le «retournement» à la source de l'énergie de l'habitude, après quoi il mènera une vie d'actes excellents. Son esprit concentré sur l'état de Bouddhéité, il deviendra absolument familier avec la noble vérité de l'auto-réalisation; il deviendra le parfait maître de son propre esprit; il sera comme une gemme irradiant de nombreuses couleurs; il sera capable d'assumer des corps de transformation; il sera capable de pénétrer dans l'esprit de tous pour les aider; et; finalement, en parcourant graduellement les étapes il s'affermira dans la parfaite Intelligence transcendantale des Tathagatas.
Néanmoins, l'Intelligence transcendantale (Arya-jñana) n'est pas la Noble Sagesse (Arya-prajñâ) , elle n'en est qu'une conscience intuitive. La Noble Sagesse est un état parfait sans image : elle est la Matrice de l'Ainsité (Tathagatagharba); elle est l'Esprit-divin-qui-conserve-Tout (Alaya-vijñana) , lequel, dans son essence pure se maintient pour toujours dans la Parfaite Patience et dans la Paisible Tranquillité.
Alors Mahâmati dit: Je vous en prie, dites-nous, ô Béni du Ciel, quelle est la nature de l'auto-réalisation grâce à laquelle nous pourrons accéder à l'Intelligence transcendantale?
Le Béni du Ciel répondit: L'Intelligence transcendantale s'éveille lorsque l'Esprit intellectuel atteint ses limites, et, si les choses sont ainsi réalisées dans leur nature véritable et essentielle, ses processus mentaux, qui sont basés sur les idées spécifiques, les discriminations et les jugements, doivent être transcendés par un appel à quelque faculté cognitive supérieure, si tant est qu'existe une telle faculté supérieure. Il existe une telle faculté dans l'Esprit intuitif (Manas) dont nous avons vu qu'il est le lien entre l'Esprit intellectuel et l'Esprit universel.
Tout en n'étant pas un organe individualisé comme l'esprit intellectuel, il a ce qui vaut bien mieux: la dépendance directe d'avec l'Esprit universel. Bien que l'Intuition ne donne pas d'information qui puisse être analysée et discriminée, elle apporte ce qui est de loin supérieur: la Réalisation de Soi par l'Identification.
Mahâmati alors demanda au Béni du Ciel, en disant: Je vous en prie, dites-nous, ô Béni du Ciel, quels clairs entendements devrait avoir un disciple sincère s'il doit réussir dans la discipline qui amène à l'auto-réalisation?
Le Béni du Ciel répondit: Il y a quatre choses par l'accomplissement desquelles le disciple sincère peut atteindre la Réalisation de Soi et la Noble Sagesse, et devenir un Bodhisattva-Mahasattva: d'abord; il doit avoir une compréhension claire de ce que toutes choses ne sont que des manifestations de l'esprit lui-même; ensuite, il doit abandonner la notion de naissance, de demeure et de disparition; troisièmement, il doit clairement comprendre le sans-existence-propre autant des choses que des personnes; et quatrièmement, il doit avoir une vraie conception de ce qui constitue l'auto-réalisation de la Noble Sagesse. Pourvu de ces quatre entendements, les disciples sincères peuvent devenir des Bodhisattvas et accéder à l'Intelligence transcendantale.
Pour ce qui est de la première : il doit reconnaître et être pleinement convaincu de ce que ce triple monde n'est autre qu'une complexe manifestation de nos activités mentales; qu'il est dépourvu d'une existence propre et de ses propriétés. Qu'il n'y a ni efforts, ni allées, ni venues. Il doit reconnaître et accepter le fait que ce triple monde est manifesté et n'est imaginé comme étant réel que sous l'influence de l'énergie d'habitude accumulée depuis des temps immémoriaux, à cause de la mémoire, des fausses imaginations, des faux raisonnements et des attachements aux multiplicités d'objets et de réactions, en proche relation et en conformité aux idées de corps-propriété-et-demeure.
Pour la seconde chose; il doit reconnaître et être convaincu que toutes choses doivent être vues en tant que formes vues dans une vision et dans un rêve, vides de substance, non-nées et sans nature propre, que toutes choses n'existent qu'en raison d'un réseau compliqué de causalité qui doit son apparition à la discrimination et à l'attachement et qui finit par l'apparition du système mental ainsi que ses possessions et évolutions.
Pour ce qui est de la troisième; il doit reconnaître et accepter patiemment le fait que son propre esprit et sa personnalité sont aussi des constructions de l'esprit, qu'ils sont vides de substance, non-nés et sans existence propre. Avec ces trois choses clairement à l'esprit, le Bodhisattva pourra pénétrer dans la vérité de l'absence d'image. Pour ce qui est de la quatrième, il doit avoir une vraie conception de ce qui constitue l'auto-réalisation de la Noble Sagesse. Premièrement, il n'est pas comparable aux perceptions atteintes par les mentations sensorielles, et pas non plus comparable à la cognition de l'esprit discriminant et intellectuel. Les deux présupposent une différence entre soi et non-soi et la connaissance ainsi atteinte est caractérisée par l'individualité et la généralité. L'auto-réalisation se fonde sur l'identité et l'unité; il n'y a rien à discriminer ni à prédiquer à son sujet. Mais pour entrer dedans, le Bodhisattva doit être libre de tous présupposés et attachements aux choses, aux idées et au soi.
Alors Mahâmati dit au Béni du Ciel: Je vous en prie, parlez nous, ô Béni du Ciel, des caractéristiques des profonds attachements d'existence et de comment on peut se détacher de l'existence?
Le Béni du Ciel répondit: Lorsqu'on tente de comprendre la signification des choses au moyen de mots et des discriminations, il s'ensuit des attachements d'existence incommensurablement profonds. Par exemple: il y a les attachements profonds aux signes d'individualité, à la causalité, à la notion de l'être et du non-être, à la discrimination de la naissance et de la mort, du faire et du non-faire, à l'habitude de la discrimination lui-même duquel les philosophes dépendent tant.
Il y a trois attachements qui sont particulièrement profondément inscrits dans l'esprit de tous: l'avidité, la colère et l'obsession, qui se fondent sur la luxure, la peur et l'orgueil. Tout contre ces derniers, il y a la discrimination et le désir procréatif accompagné par l'excitation, ainsi que l'avarice et l'amour du confort, de même que le désir de la vie éternelle; et, ensuite, il y a une succession de renaissances sur les cinq voies de l'existence et une continuation d'attachements. Mais si ces attachements sont rompus, aucun signe d'attachement ni de détachement ne demeurera parce que ils se fondent sur des choses qui sont non-existantes; quand cette vérité est clairement comprise, le filet de l'attachement est dégagé.
Mais dépendant de, et s'attachant elles-mêmes à la triple combinaison qui travaille à l'unisson, il y a l'apparition et la continuation du système mental qui fonctionne de façon incessante, et c'est à cause de ça qu'il y a le postulat profondément ressenti, et de façon continue, de la volonté de vivre. Lorsque la triple combinaison qui est cause du fonctionnement du système mental cesse d'exister, il y a la triple émancipation et il n'y a pas d'apparition ultérieure d'aucune combinaison. Lorsque l'existence et la non-existence du monde extérieur sont reconnues comme surgissant de l'esprit lui-même, alors le Bodhisattva est préparé à pénétrer dans l'état d'absence d'image et par là-même à voir dans la vacuité qui caractérise toute discrimination et tout attachement profond qui en résulterait. Par là-même, il ne verra pas de signes d'attachement ni de détachement profondément enracinés ; par là-même il ne verra personne dans l'asservissement et personne dans l'émancipation, à part ceux qui eux-mêmes chérissent l'asservissement et l'émancipation, parce que dans toutes choses il n'y a pas de «substance» dont on pourrait se saisir.
Mais tant que ces discriminations sont chéris par les ignorants et les simples d'esprit ils continuent de s'attacher eux-mêmes pour eux, et, comme les vers à soie, continuent de filer le fil de leur discrimination et de s'envelopper eux-mêmes et d'autres, et sont charmés par leur propre poison. Mais pour les sages il n'y a pas de signes d'attachement ni de détachement; tout est vu comme demeurant dans la solitude où il n'y a pas d'évolution de la discrimination. Mahâmati, quand toi et d'autres Bodhisattvas comprendrez bien la distinction entre attachement et détachement, vous serez en possession de moyens habiles d'éviter de s'attacher aux mots grâce auxquels on se met en frais de saisir les significations. Libres de la domination des mots, vous pourrez vous établir là où il y aura un «retournement» au plus profond de la conscience, ce qui vous permettra d'accéder à l'auto-réalisation de la Noble Sagesse et de pouvoir pénétrer dans toutes les Terres de Bouddhas et toutes les assemblées. Là vous serez marqués du sceau des pouvoirs, de la maîtrise de soi, des facultés psychiques, et serez dotés de la sagesse et du pouvoir des dix voeux inépuisables, et irradierez les rayons multicolores des Corps de Transformation. Par là, vous brillerez sans effort comme la lune, le soleil, le joyau magique qui accorde les voeux, et à chaque étape, vous observerez que les choses sont en parfaite unité avec vous-mêmes, non-contaminées par aucune conscience de soi. Voyant que toutes choses sont comme un rêve, vous pourrez arriver au niveau des Tathagatas et pourrez faire sur le Dharma des discours au monde des êtres en accord avec leur besoins et serez capables de les libérer de toutes notions dualistes et de toutes fausses discriminations.
Mahâmati, il y a deux façons de considérer l'auto-réalisation: c'est-à-dire, les enseignements à son sujet, et la réalisation elle-même. Les enseignements, tels qu'ils sont diversement donnés dans les neuf divisions des oeuvres doctrinales, pour l'édification de ceux qui y sont enclins, par des moyens et expédients habiles, sont destinés à éveiller dans tous les êtres une vraie perception du Dharma. Les enseignements sont destinés à nous éloigner de toutes notions dualistes de l'être et du non-être ainsi que de l'identité et de l'altérité. La réalisation elle-même est au sein de la conscience intérieure. Il s'agit d'une expérience intérieure qui n'a pas de connexion avec le système mental inférieur et ses discriminations de mots, d'idées et de spéculations philosophiques. Elle éclaire de sa propre claire lumière pour révéler l'erreur et la sottise des enseignements fabriqués par le mental, et réduit ainsi à l'impuissance les mauvaises influences de l'extérieur, et à nous guide sans faute vers le domaine du bien sans écoulements. Mahâmati, quand le disciple sincère et Bodhisattva est doté de ces prérequis, la voie lui est ouverte de la parfaite accession à l'auto-réalisation de la Noble Sagesse, et à la pleine jouissance des fruits qui en résultent.
Alors Mahâmati interrogea le Béni du Ciel, en disant: Je vous en prie, parlez-nous, ô Béni du Ciel, du Véhicule Unique dont le Béni du Ciel a dit qu'il caractérise l'accession à l'auto-réalisation intérieure de la Noble Sagesse?
Le Béni du Ciel répondit: Pour pouvoir rejeter certaines discriminations faciles et raisonnements erronés, le Bodhisattva devrait se retirer dans un endroit calme et isolé où il pourra réfléchir en lui-même sans compter sur personne d'autre, et là il faudra qu'il s'exerce à des avancées successives au long des étapes; cette solitude est la caractéristique de l'accession intérieure à l'auto-réalisation de la Noble Sagesse.
J'appelle ceci le Véhicule Unique, pas parce qu'il est le Véhicule Unique, mais parce que ce n'est que dans la solitude qu'on peut reconnaître et réaliser la voie du Véhicule Unique. Tant que l'esprit est distrait et fait un effort conscient, il ne peut pas y avoir de culmination en ce qui concerne les divers véhicules; ce n'est que lorsque l'esprit est seul et tranquille qu'il peut abandonner les discriminations du monde extérieur et poursuivre la réalisation d'un domaine intérieur là où il n'y a ni véhicule ni personne qui voyage dedans. Je parle de trois véhicules afin de transporter les ignorants. Je ne parle pas beaucoup du Véhicule Unique parce qu'il n'y a pas de façon dont les disciples sincères et les maîtres puissent réaliser le Nirvâna, sans aide. Selon les discours des Tathagatas, il faut séparer, discipliner et entraîner les disciples à la méditation et dhyâna, de sorte qu'ils aient l'aide de nombreux artifices et expédients pour réaliser l'émancipation.
C'est parce que les disciples sincères et les maîtres n'ont pas totalement détruit l'énergie de l'habitude du karma et les obstacles de la connaissance discriminante et de la passion humaine qu'ils sont souvent incapables d'accepter la double absence d'existence propre et l'inconcevable transformation de la mort, que je prêche le triple véhicule et pas le Véhicule Unique. Lorsque les disciples sincères se seront débarrassés de toute leur mauvaise énergie de l'habitude et qu'ils auront été capables de réaliser la double absence d'existence propre, ils ne seront plus intoxiqués par la béatitude des Samadhis et seront éveillés dans le domaine supérieur de du bien sans écoulements. Etant éveillés dans le domaine du bien sans écoulements, ils pourront rassembler tous les prérequis à l'accession à la Noble Sagesse qui est au-delà des concepts et participe du pouvoir souverain. Mais en réalité, Mahâmati, il n'y a pas de véhicules, et c'est ainsi que je parle du Véhicule Unique. Mahâmati, l'admission plénière du Véhicule Unique n'a jamais été atteinte ni par les disciples sincères, ni les maîtres, ni même par le grand Brâhma; il n'a été atteint que par les Tathagatas eux-mêmes. C'est là le raisonnement qu'on appelle Véhicule Unique. Je n'en parle pas beaucoup parce qu'il n'y a pas de façon dont les disciples sincères puissent réaliser Nirvâna sans aide.
Alors Mahâmati interrogea le Béni du Ciel, en disant: Quelles sont les étapes qui conduiront un disciple éveillé vers l'auto-réalisation de la Noble Sagesse?
Le Béni du Ciel répondit: Le début se trouve dans la reconnaissance que le monde extérieur n'est qu'une manifestation des activités de l'esprit lui-même, et que l'esprit le saisit comme un monde extérieur simplement à cause de son habitude de la discrimination et du faux raisonnement. Le disciple doit prendre l'habitude de considérer ces choses sincèrement. Il doit reconnaître le fait que le monde n'a pas de nature intrinsèque, qu'il est non-né, qu'il est comme un nuage qui passe, comme la roue imaginaire que fait un brandon qui tourne, comme le château des Gandharvas, comme le reflet de la lune dans l'océan, comme une vision, un mirage, un rêve. Il doit arriver à comprendre que l'esprit dans sa nature essentielle n'a rien à voir avec la discrimination ni la causalité; il ne doit pas écouter les discours fondés sur des termes et qualifications imaginaires; il doit comprendre que l'Esprit universel dans sa pure essence est un état d'absence d'image, que ce n'est qu'à cause des souillures accumulées sur sa face que la propriété-et-demeure-du-corps semblent être ses manifestations, que dans sa propre pure nature il n'affecte pas, et n'est pas affecté par des changements comme l'apparition, la durée et la destruction; il doit pleinement comprendre que toutes ces choses proviennent du réveil de la notion d'une âme dotée d'une existence propre et de son esprit conscient. Alors, Mahâmati, laisse ces disciples qui souhaitent réaliser la Noble Sagesse en suivant le Véhicule du Tathagata se désister de toute discrimination et raisonnement erroné à propos de la personnalité et de son monde sensoriel ou à propos d'idées comme la causalité, l'apparition, la durée et la destruction, et qu'ils s'exercent dans la discipline de dhyâna qui amène à la réalisation de la Noble Sagesse.
Pour pratiquer dhyâna, le disciple sincère devrait se retirer dans un endroit tranquille et solitaire, en se rappelant que les habitudes d'une vie de pensée discriminante ne peuvent se rompre ni facilement ni rapidement. Il y a quatre sortes de méditation de concentration (dhyâna): Le dhyâna que pratiquent les ignorants; le dhyâna consacré à l'examen du sens; le dhyâna qui a «l'Ainsité» (tathata) pour objet; et le dhyâna des Tathagatas.
Le dhyâna que pratiquent les ignorants est celui auquel ont recours ceux qui suivent l'exemple des disciples et des maîtres mais qui ne comprennent pas son but et, c'est pour ça que cela devient «juste s'asseoir» avec l'esprit vide. Ce dhyâna est également pratiqué par ceux qui, méprisant le corps, le voient comme une ombre et un squelette plein de souffrances et d'impureté, et qui, s'accrochant pourtant à la notion d'une existence propre, cherchent à accéder à l'émancipation par la seule cessation de la pensée.
Le dhyâna consacré à l'examen du sens, est celui que pratiquent ceux qui, percevant que des idées comme le soi, l'autre et les deux, soutenues par les philosophes, sont intenables et qui sont passés au-delà la double-absence d'existence propre, consacrent leur dhyâna à un examen de la signification de l'absence d'existence propre et des différentiations des étapes des Bodhisattvas.
Le dhyâna avec le Tathata, ou «l'Ainsité», ou l'Unité, ou le Nom divin, est ce que pratiquent ceux des disciples sincères et maîtres qui, tout en reconnaissant pleinement la double absence d'existence propre et l'absence d'image de Tathata, s'accrochent pourtant à la notion de Tathata ultime.
Le dhyâna des Tathagatas est le dhyâna de ceux qui entrent dans l'étape de l'Ainsité et qui, en demeurant dans la triple béatitude qui caractérise l'auto-réalisation de la Noble Sagesse, se consacrent au salut de tous les êtres, pour qu'ils accomplissent les travaux incompréhensibles nécessaires à leur émancipation. Ceci est le pur dhyâna des Tathagatas. Lorsque toutes les choses et idées mineures sont transcendées et oubliées, et qu'il ne reste qu'un parfait état d'absence d'image où Tathagata et Tathata sont fondues en une parfaite Unité, alors les Bouddhas viendront tous ensemble de leurs Terres de Bouddhas et la personne, avec leurs mains brillantes posées sur son front, deviendra à son tour un Tathagata.
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